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Gérer la difficulté dans un parcours pédagogique

Dans le langage courant, complexe et compliqué sont bien souvent utilisés comme synonymes. Ils ne le sont pas.

Comprendre leurs différences est une clef fondamentale pour construire des scénarios pédagogiques.


Compliqué et complication sont des concepts signifiants dans les travaux sur la pensée complexe, qu’on peut retrouver chez Morin ou Le Moigne par exemple. Mais ce n’est en général pas dans ce sens que le terme est utilisé dans le langage courant de la formation. Il l’est plutôt comme synonyme de « difficile ». Parler de « difficile » rend plus apparent le sous-entendu : on parle ici du point de vue de la personne qui apprend. Ce qui est très différent de « complexe », propriété de la situation vécue par cette personne.

Or, c’est précisément cette navigation entre situation et activité (pour emprunter à Pastré ou Mayen un binôme classique de la didactique professionnelle) qui constitue la plus grosse difficulté de construction d’un scénario pédagogique : il s’agit d’organiser un parcours pour que l’activité de l’apprenant lui permette de découvrir progressivement les subtilités et implications des situations de travail qu’il vit.

Dans la pensée de Morin comme dans le langage courant, « complexe » est en général une propriété des situations, qui s’oppose à « simple ». Dans le langage courant, la qualification « difficile » s’oppose à « facile ». Et ces dernières sont des propriétés de l’activité de la personne : une tâche est toujours facile ou difficile « pour quelqu’un ».

Mobiliser ces deux binômes dialectiques simple/complexe et facile/difficile permet de reformuler l’enjeu de la scénarisation pédagogique : son but est d’accompagner quelqu’un à passer d’un stade où même une situation simple peut être difficile à assumer, à un stade où son expérience lui permet de se débrouiller facilement même d’une situation complexe.

L’enjeu d’un scénario pédagogique est alors d’aménager la découverte de la complexité pour qu’elle suive le développement progressif des compétences nécessaire pour y faire face. Il ne s’agit donc pas d’organiser une progression objective de la complexité des situations auxquelles on confronte un apprenant, mais d’organiser une progression qui accompagne la construction subjective de sa compréhension des situations. Donc une progression dont chaque étape constitue un défi raisonnable par l’introduction pertinente d’un surcroît de complexité amenant une difficulté surmontable pour et par l’apprenant. Il y a un lien entre complexité et difficulté, bien sûr, mais il n’est pas toujours direct. C’est ce que résume la courbe d'apprentissage suivante, qui relie les propriétés objectives des situations (horizontalement) et leur perception subjective par les apprenants (verticalement).

La marche doit à chaque fois être juste assez haut pour ne pas permettre d’ignorer le surcroît de complexité, et donc appeler un apprentissage. Mais pas trop haute, pour rester dans ce qui est à portée de l’apprenant, dans son espace de développement proche, pourrait-on dire en paraphrasant Vygotsky.


Là où ça se corse, c'est que :


Celui qui n’est pas du tout compétent ne perçoit pas nécessairement la complexité de la situation qu’il a face à lui. Il peut avoir l’illusion d’une compréhension suffisante pour agir, mais elle est bien souvent inadaptée et ignore certains aspects pourtant déterminant de la situation. Pour le dire plus simplement, le plus ignorant est celui qui ignore même qu’il ignore, et agit quand même.
l’expert a tellement intégré ses compétences qu’il ne se rend plus compte qu’il sait, et bien souvent ne comprend pas que les autres n’aient pas les mêmes évidences que lui.

L’ingénierie de formation consiste donc bien souvent à travailler avec des experts métiers tellement expert qu’ils ne se rendent plus compte de ce qu’ils savent afin de produire un scénario de confrontation à des situations pour des gens qui souvent ne se rendent même pas compte qu’ils ne savent pas.

La clef de la réalisation d’un scénario pédagogique est donc le décentrement pour reconnaître la subjectivité de l’apprenant, une subjectivité qui n’a pas encore intégré les évidences professionnelles de l’expert. Accompagner ce décentrement est une compétence clé de l’ingénieur de formation qui travaille avec des experts métiers.

Charles-Antoine Gagneur - inSitu

Charles-Antoine Gagneur

Chercheur associé à l’unité Formation et Apprentissages professionnels (Agrosup Dijon - CNAM - ENSTA), Charles-Antoine Gagneur explore depuis longtemps les relations entre travailler et apprendre. Après une thèse sous la direction de Patrick Mayen sur les modes d'apprentissages au quotidien dans les collectif de travail, il a conduit différents chantiers de recherche ayant en commun de mettre les apprentissage en situation au coeur de leur compréhension du travail.