Ingénierie d’AFEST, entreprise délibérée et travail bien fait : un vent d’air frais ?
Quand, dans une entreprise, ce sont les amoureux du travail bien fait qui dépriment. Quand il ne reste plus que la pause-café pour parler du travail. Voir quand le travail à distance a tué même la pause-café et les conversations "improductives" dans les couloirs, il n'est que temps de se poser des questions.
Que reste-t-il de l'idée d'entreprise à l'heure où les moyens de production soit se concentrent et se délocalisent à l'extrême, soit sont en passe d'être accessible chez n'importe qui, moyennant trois clics et une livraison ? Que reste-t-il à faire ensemble quand on ne croise ses collègues qu'en visio, ou dans un courant d'air masqué ? Et que bientôt, l’IA singera une bonne part des activités routinières ? Quelle est alors la plus-value de se grouper en entreprise ?
Dans un livre sorti récemment ( Le prix du travail bien fait, Ed. La découverte) Yves Clot & Al nous proposent encore une fois un ensemble d'idées et de repères pour penser le travail dans ses dimensions collectives et interactionnelles, toujours dans la perspective de l’action. Il nous rappelle que la controverse est intrinsèque au travail, qu’elle est le moteur d’un développement collectif de compétences collectives. Bref, un bien commun valorisable ensemble qui est la base de l’idée d’entreprise. Ce qui tombe à point nommé dans cette période de transformation profonde de l’agir collectif dans les organisations.
Ce livre illustre à quel point nous avons désespérément besoin d'espaces structurés et légitimes pour penser notre travail ensemble. Que les controverses, voire les conflits autour de la qualité du travail, sont un des fondements de la valeur ajoutée d’une entreprise, un des fondements peut-être si fondamental qu'on l'a oublié, ou que l'on a pensé qu'il irait toujours de soi.
Mais il a besoin d'être nourri. D'être nourri d'échanges sur le travail réel, d'échanges réels qui aient une influence sur la manière dont nous travaillons ensemble, sur les cadres, les buts et les moyens communs que l’on se donne dans un projet commun, fondateur d’une entité qu’on appelle « institution », « entreprise » ou « organisation » selon l’objet qu’on lui reconnaît.
Je crois que la révolution de l'ingénierie de formation que pourrait porter les démarches de formation en situation de travail AFEST pourrait être un bon objet d'intermédiation.
Monter une AFEST réellement efficiente pose la question de la compréhension du travail réel, oblige à parler ensemble pour en saisir de manière interactive toutes les rugosités, les aléas, les débordements. Cela mobilise de nombreux acteurs opérationnels, acteurs et managers de terrain, qui sont habituellement à l’écart des processus d’ingénierie. Il faut non seulement aller voir comment ils se débrouillent des situations qu’ils rencontrent, mais encore comprendre suffisamment les variations des situations qui les occupent. En prendre suffisamment en compte la contingence pour rentrer dans une granularité des compétences à laquelle l’ingénierie de formation n’est pas, n’est plus, habituée. Et le faire dans un mouvement qui associe les travailleurs à la compréhension de leur travail, dans un mode délibératif dont Jean-Yves BONNEFOND, Antoine BONNEMAIN, Yves CLOT, Mylène ZITTOUN nous rappellent les vertus et les mérites.
Bref, mettre en place des AFEST oblige à reconsidérer les compétences réelles, telles qu'elles sont construites au cœur des situations. Et fournit un cadre pour parler du travail réel dans une perspective constructive, en poussant les controverses jusqu'à la compréhension des critères qui font le travail bien fait. Peut-être pour le refonder, mais certainement pour le (re)connaitre.