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inSitu - IA et formation professionnelle : où va-t-on ?

IA et formation professionnelle : où va-t-on ?

Que fait chatGPT à la formation professionnelle ?

Depuis quelques temps, les chatbot appuyés sur des IA conversationnelles ont fait irruption dans notre monde professionnel, soulevant des échanges passionnés, enthousiastes, angoissés. Voire les trois à la fois.

Ces débats recouvrent à mes yeux deux champs de questionnements distincts :
- ce que la massification de l’IA devenue grand public fait aux métiers auxquels nous formons, ce qui constitue qui un sujet trop vaste et hétéroclite pour le traiter ici ;
- ce que l’IA fait aux métiers de la formation. Et en particulier aux métiers de la formation professionnels, qui me semblent réclamer une attention particulière.

Il est clair que la massification des IA conversationnelles, même encore balbutiantes, va bouleverser le traitement des savoirs de référence académiques en tant que matière première à didactiser, conceptualiser, mémoriser, évaluer. Ces savoirs sont constitués d’éléments déclaratifs, pour l’essentiel déjà numérisés et « mis en ordre ». Ils sont accessibles à l’expérience de la machine. Fabriquer des quizz de maths, adapter l’apprentissage de la lecture aux difficultés d’un élève, générer un cours d’électricité personnalisé sont autant de tâches que des IA sauront probablement réaliser avec au moins autant de pertinence qu’un prof débutant dans les années, les mois, les semaines qui viennent. Certains font déjà des propositions convaincantes. Et je ne parlerai pas du vaste chapitre de « la triche » dans un monde accro à la certification des compétences individuelles et dont la massification de ces prothèses cognitives vient faire trembler les fondements. C’est à mes yeux le début d’une révolution pour les métiers de la formation académique qui placent le traitement des savoirs formels en leur cœur.

Mais en formation professionnelle ?

Le traitement des savoirs de références de l’action n’est qu’une petite partie des enjeux de la formation professionnelle.

La formation y vise (le plus souvent) une action dans le monde physique, sur des vrais objets. Une action située, adaptée à la configuration de travail. L’expérience s’y construit au fil des situations. Et la régulation des apprentissages dans ces parcours de construction de l’expérience est le cœur de l’enjeu pédagogique. Une régulation qui fait appel à une connaissance contextuelle en grande partie implicite, diffuse, difficile à circonscrire : ce gigantesque fatras mélangeant une expertise technique bien mûrie et connaissance du territoire et/ou du milieu professionnel. Précisément les éléments qui font la différence entre un débutant encore en découverte et un expert capable d’accompagner quelqu’un.



Ici, nous parlons de phénomènes qui échappent la plupart du temps au regard des IA derrière les chatbot, comme la prise en compte de la fluidité de l’huile de boite ou la compression dans le cylindre échappe aux capteurs embarqués des véhicules thermiques contemporains. 



Et c’est là que la linguistique classique est utile, fut-elle réduite à sa plus simple expression : texte, co-texte, contexte. 



Le texte, ce qu’on dit juste ici. 


Le co-texte, ce qu’on a dit ailleurs et qui oriente le sens du texte, donc pour une IA conversationnelle ce qui existe dans les données sur lesquelles elle (s’) est entraînée.



Et le contexte, c’est-à-dire tout le reste, en dehors du corpus textuel de référence, mais qui participe à son sens. Ici, tout ce qui participe à l’orientation ou la régulation de l’action ou des apprentissages. Ce qui est crucial pour des professionnels compétents, mais qui n’est pas numérisé, pas déjà qualifié, pas prêt pour qu’une IA conversationnelle le prenne en compte pour construire une réponse. 



Ajoutons à cela que les apprentissages machines sont aujourd’hui bâtis presque exclusivement dans des logiques d’agrégation cherchant la convergence. La machine recherche des régularités et les renforce au fil de ses observations congruentes. 

La « compréhension » des divergences demeure une difficulté : divergence de point de vue, divergence d’une observation qui mérite de n’être pas lissée parmi d’autres qui le méritent, qualifications contradictoires mais complémentaires dans un contexte particulier, etc. Traiter ces divergences, mener des controverses, changer de point de vue et concilier des logiques divergentes demeure une activité proprement humaine. La machine n’aime pas les grumeaux. 



Bref, qu’en retenir aujourd’hui pour penser la formation professionnelle de demain ? 



Les tâches appuyées sur des traitements formels du texte et de ses co-textes sont le terrain de jeu privilégié des IA conversationnelles, et ce d’autant plus quand ces corpus sont stables, consensuels et pris comme des fins en soi. Aujourd’hui, ces IA sont en bonne voie pour avoir leur « bac S » , et il est probable qu’elles puissent viser mieux si elles maintiennent leurs efforts au 3e trimestre. 



Mais il me semble que la logique actuelle de construction de celles-ci met la prise en compte des contextes hors de leur champ de compétence pour un certain temps. Je doute que le développement des métaverses, de la reconnaissance vidéo ou d’un autre artefact astucieux change vraiment la donne dans un futur prévisible. C’est un problème de couplage logique entre la structuration des problèmes du monde et celle des réseaux neuronaux in silico. Les IA conversationnelles auront donc probablement du mal à valider leur BP responsable de productions légumières. 

Et ce d’autant plus s’il faut le faire dans un contexte où plusieurs approches agronomiques contradictoires et incompatibles coexistent. 



Bonne nouvelle donc : il y a donc encore besoin d’humains en formation professionnelle. Et ça risque de durer jusqu’à la prochaine révolution technologique. 



Donc maintenant, yapuka réinventer le métier de formateur de demain. Et ses outils.


Charles-Antoine Gagneur - inSitu

Charles-Antoine Gagneur

Chercheur associé à l’unité Formation et Apprentissages professionnels (Agrosup Dijon - CNAM - ENSTA), Charles-Antoine Gagneur explore depuis longtemps les relations entre travailler et apprendre. Après une thèse sous la direction de Patrick Mayen sur les modes d'apprentissages au quotidien dans les collectif de travail, il a conduit différents chantiers de recherche ayant en commun de mettre les apprentissage en situation au coeur de leur compréhension du travail.